NOUVEAU – Veille documentaire : Tourisme & Résilience de l’UPF

Veille documentaire : Tourisme & Résilience de l’UPF

À partir du 20 avril, le CETOP et l’UPF mettent en place un espace de veille documentaire avec des synthèses hebdomadaires par secteur ou par zone géographique concernant les effets et les évolutions de la crise sanitaire du COVID-19 sur le tourisme.

Veille documentaire : Tourisme & Résilience

Publié le 25 avril 2020

 

Bonjour à tous,

 

Bienvenu sur cet espace de veille documentaire, mis en place par le CETOP et l’UPF. L’objectif est de fournir une synthèse des informations récentes, par secteur ou par zone géographique, concernant les effets et les évolutions de la crise sanitaire du COVID-19 sur le tourisme en Polynésie française. Ce projet est le résultat d’une collaboration entre plusieurs enseignants, mais repose surtout sur le travail et l’investissement de plusieurs étudiants, en Doctorat, en Master Management et Commerce International, en 2ème et 3ème année de Licence Économie et Gestion ainsi qu’en Licence Professionnelle Hôtellerie-Tourisme, tous à l’UPF. Ils sont bénévoles et attachés à aider leur Fenua. Nous les en remercions chaleureusement. Ainsi, nous essayons par cette veille d’aider le secteur du tourisme polynésien comme nous le pouvons. Et par les temps qui courent, aider est en soi une satisfaction et une récompense.

 

Nous avons organisé la veille de la manière suivante :

  • Veille des marchés concurrentiels, pour s’inspirer des bonnes (ou mauvaises) idées de nos principaux concurrents, notamment les destinations insulaires,
  • Veille des marchés émetteurs pour identifier les capacités et les délais de reprise, selon les marchés,
  • Veille sectorielle afin de comprendre comment s’organisent les différents secteurs (hôtellerie ; aérien ; filière locale).

 

Chaque semaine, vous retrouverez un point de synthèse de cette veille documentaire sur le site du CETOP. Nous espérons que cette veille vous aidera à y voir plus clair. J’en profite pour appeler à votre bienveillance. Nous avons monté ce projet, avec nos étudiants, en l’espace d’une semaine. Il y aura donc des imperfections, nous en sommes conscients. Mais je suis persuadé qu’avec vos conseils et surtout la ténacité de nos jeunes étudiants, nous serons en capacité dans les semaines qui viennent de vous fournir un travail de qualité, qui s’améliorera au fur et à mesure.

Pour lancer cette veille documentaire, nous vous proposons quelques réflexions communes sur la crise actuelle et le tourisme. Ces éléments sont simplement le résultat de nos réflexions personnelles et n’engagent que les signataires. Nous vous souhaitons une bonne lecture !

 

L’équipe de veille

 

Les enseignants/enseignants-chercheurs : Vincent Dropsy, Jean-Claude Oulé, Sylvain Petit et Yann Rival

 

Les assistants et étudiants en Master/Doctorat : Hiriata Brotherson, Laetitia Sin, Yann Otcenasek

 

Les étudiants en licence : Elodie Bassez, Noami Chung, Lou Deval, Ra'i Duval, Leila Dumont, Sarah Kenhata, Oumati Kienlen, Leilanie O'Connor, Tehani O'Connor, Tehani Mahuta, Piirai Mandy, Tauhere Teai, Loidi Teheiura, Louis Vayssié, Anuhea Vernaudon, Renate White, Georges Yim

 

 

 

 

 

Les prévisions internationales et pour la Polynésie française

 

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Crédits : David Kirkland

 

On le sait, cette crise sans précédent, va impacter très lourdement et durablement le secteur du tourisme en Polynésie française. Cette crise ne ressemble à aucune autre. À titre de comparaison, en 2009, la crise financière internationale avait entraîné une baisse du tourisme international de 4%. Le scénario qui se dessine pour l’année 2020 est bien plus grave. Mi-mars, alors que l’ampleur de la crise n’était pas encore celle d’aujourd’hui et que certains pays pensaient pouvoir éviter le confinement (États-Unis ; Royaume-Uni), l’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT) affichait une baisse des arrivées touristiques internationale prévue pour 2020 de 20% à 30%. L’incertitude sanitaire est grande, mais les récents développements tendent à suggérer qu’il faut s’attendre à pire cette année. Et surtout, il faut s’attendre à ce que les années 2021 voire 2022 soient aussi très difficiles. Cette crise présente plusieurs inconvénients majeurs, qui peuvent se comprendre par les déterminants de la demande touristique qui dépend des facteurs suivants (entre parenthèse correspond au sens de l’effet) :

  • revenu des touristes (+) ;
  • prix de la destination (-) ;
  • temps disponible pour le touriste (+) ;
  • distance (-) ;
  • affinités culturelle et linguistique (+) ;
  • facilités institutionnelles telles que l’exemption de visas, par exemple (+)
  • et différents aspects psychologiques tels que le besoin de sécurité, ou le goût pour l’aventure (+), etc.

 

Nombreux sont ces facteurs qui sont ou vont être affectés et c’est bien la caractéristique centrale de cette crise. Par le passé, on avait l’habitude de constater un problème sur un ou deux facteurs mais pas sur autant d’éléments à la fois. Par exemple, la crise de 2008-2009 a essentiellement affaibli les revenus des consommateurs, mais les autres déterminants ont été peu affectés.

 

À titre d’exemple, et pour anticiper au mieux les changements à venir, on peut s’attendre aux phénomènes suivants :

(i) Forte baisse de la demande due à la chute des revenus des touristes avec la grave crise économique (et l’explosion du chômage déjà constatée)

(ii) Baisse de l’offre touristique avec la fermeture/faillite de plusieurs compagnies aériennes, croisiéristes, agences de voyages, compagnies hôtelières, prestataires de service, etc.  Par conséquent, le degré concurrentiel de la filière touristique risque d’être affaibli, et provoquer des hausses de prix.

(iii) Mise en place de nouvelles restrictions (pour des raisons sanitaires) sur le long-terme pour le transport de passagers.

(iv) Impacts psychologiques traumatiques de la crise diminuant « l’envie d’aventures » et de voyages.

 

De plus, face à cette baisse « massive » de la demande touristique, il faut penser aux effets directs, indirects et induits du tourisme. Le tourisme est un secteur très « gourmand » en biens et services intermédiaires, tels que l’alimentation et les boissons, le transport, les services liés à la finance et l’assurance, la formation, etc. Il s’agit d’un secteur particulièrement dépendant de tous les autres secteurs de l’économie et il agit comme une forme de « demande importée » pour l’économie. Il est par conséquent à craindre que ces 4 effets (baisse des revenus – hausse des prix - contraintes pour voyager – craintes psychologiques) touchent très durement le tourisme en Polynésie française de manière indirecte ou induite.

Nous ne souhaitions pas produire un sombre tableau de la situation qui nous attend, les évènements étant déjà suffisamment anxiogènes. De plus, nous sommes plutôt optimistes de nature. Mais, pour aider à nous projeter, nous devons tenir compte des réalités et de nos vulnérabilités. Par exemple, la reprise du tourisme va d’abord être locale, étant donné l’arrêt brutal et prolongé du transport aérien international, mais notre offre a été construite pour un tourisme international. Nous y reviendrons.

 

Tout d’abord, nous devons nous risquer à faire un essai de prévision. Cet exercice comporte de nombreuses limites et il est à prendre avec des « pincettes » d’autant plus que le situation internationale, sanitaire, diplomatique, politique, et autre, peut fort bien évoluer de manière erratique dans les jours qui viennent. 

Pour démarrer cette prévision et comprendre les faits aujourd’hui, le graphique ci-dessous permet d’illustrer un récent scénario de l’OMT à la mi-mars, qui nous semble d’ores et déjà trop optimiste, d’une baisse de 30% en 2020 des flux touristiques internationaux. Et pourtant, cette baisse est sans aucune mesure avec toutes les autres baisses constatées par le passé. Elle nous ramènerait en quelques mois à une situation de fréquentation touristique similaire à 2010.

 

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Pour la Polynésie française, le scénario de prévision doit malheureusement être légèrement plus pessimiste. En premier lieu, une de nos spécificités va devenir un handicap encore plus important : notre éloignement. Dans un premier temps, le tourisme va être relancé localement par une forme de tourisme de proximité. Les voyageurs vont prendre du temps avant de « se risquer » à partir loin et le confinement va certainement donner envie aux voyageurs de retrouver leurs proches. Nous reviendrons sur ce point ensuite mais il est fort probable que le tourisme affinitaire va être un facteur très important pour les mois qui viennent.

Pour l’année 2020 en Polynésie française, on peut s’aider de plusieurs éléments afin de se risquer à une prévision. Premièrement, l’ISPF a constaté pour les mois de janvier et février une baisse d’environ 4,8%. Deuxièmement, on peut légitimement penser que cette baisse a continué et s’est amplifiée au fur et à mesure que le confinement s’est généralisé dans le monde durant la première moitié du mois de mars (environ -10%). Pour la seconde moitié du mois de mars, mais aussi les mois d’avril et mai, on peut supposer une fréquentation nulle. Pour les mois de juin à septembre, on suppose une baisse au moins de de moitié par rapport à 2019 car les marchés émetteurs seront toujours soumis, ne serait-ce que partiellement, par les mesures de confinement. De plus, des conditions de restriction vont être mises en place, pour des raisons sanitaires. Dans cette période, on peut supposer que les touristes qui viendront seront essentiellement là pour des motifs affinitaires. Durant la période octobre-décembre, si les nouvelles normes de voyage sont stabilisées, on peut supposer une baisse d’environ 30% (correspondant au scénario de mi-mars de l’OMT) suite aux conséquences psychologiques, à la baisse des revenus et la limitation du temps disponible (suite aux congés « forcés » des touristes pendant le confinement). De cette manière, si on synthétise ces prévisions sur ces différents mois, on peut s’attendre à une baisse comprise d’environ 113 000 touristes pour l’année 2020 comme l’illustre la figure ci-dessous. En cas d’aggravation de la situation (retrait de compagnies aériennes, aggravation de la crise économique, etc.), on peut alors d’attendre à une baisse d’environ 144 000 touristes (soit une baisse d’environ 60%).

 

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Il faut noter que cette prévision ne tient pas compte des excursionnistes (croisiéristes en voyage Transpacifique) étant donné que le secteur de la croisière semble plongé dans une incertitude encore plus forte. Notre prévision ne tient pas compte non plus du tourisme interne (les résidents qui séjournent en Polynésie).

Maintenant, posons-nous une question bien difficile et risquée : quand retrouverons-nous le niveau touristique avant COVID-19 à l’échelle internationale et de la Polynésie ? Selon le World Travel & Tourism Council, la moyenne constatée à l’échelle mondiale des précédentes crises est de 19,4 mois (sur une période d’observation de 2000 à 2018). Comme nous le précisions auparavant, étant donné que beaucoup de variables déterminantes de la demande touristique vont être affectée de manière durable et que nous avons un éloignement avec nos marchés émetteurs très important, nous pouvons donc nous attendre à une période plus longue, au moins pour la Polynésie française. On peut donc penser que la performance touristique de l’année 2019 ne sera pas atteinte avant 2023 voire 2024.

Par conséquent, nous nous inspirons ici de la récente analyse pour le Québec de Jean-Michel Perron publié sur le site http://tourismexpress.com/[1] en identifiant 3 phases à cette reprise.

 

            Les 3 phases de la reprise économique

 

PHASE 1 : Le tourisme confiné et de distanciation (de mai jusqu’à l’arrivée d’un traitement ou d’un vaccin)

 

Pour notre industrie du tourisme, il importera d’uniformiser les normes sanitaires recommandées (lavage des mains, distanciation sociale avec une distance précise, port de masques, transferts d’objets, etc.) à travers tous les acteurs de la filière touristique. De cette manière, il convient de donner des consignes claires aux visiteurs et d’éviter les contradictions. D’ailleurs, certaines activités et acteurs pourront rapidement mettre en place ces normes. On peut donc penser que ces mesures aideraient certaines activités ne nécessitant pas de fortes interactions humaines (certaines catégories de plongée, snorkeling, randonnée, quad, vélo, etc.). Il en est de même pour les hébergements ne nécessitant pas un contact très important entre les clients : pensions de familles et surtout locations meublées. Le transport de passagers (maritime ou aérien local) devra tenir compte de ces nouvelles normes si on veut que cette forme de tourisme ne se limite pas que sur la zone Tahiti-Moorea.

 

Enfin, dans l’immédiat, il est nécessaire d’identifier les clientèles potentielles. Le tourisme local est la première cible logique, d’autant plus que la clientèle locale à une forte tendance à séjourner dans des pensions de familles et des logements locatifs (Airbnb, …). Il conviendra donc de réfléchir aussi à l’hôtellerie internationale, principal acteur du tourisme en Polynésie française et qui sera le plus durablement touché avec les transports aériens internationaux. On peut penser à un meilleur positionnement face à la demande locale de manière au moins temporaire et à une réflexion sur la prise en compte de ces nouvelles normes sanitaires. De cette manière, sur la période Juin-Novembre 2020, l’un des enjeux sera d’inciter la clientèle locale et notamment les nouveaux arrivants (comme par exemple les fonctionnaires d’État) à faire des séjours réguliers (weekend, jours fériés) dans les hébergements en Polynésie. On peut par exemple envisager de mettre en place un « salon du tourisme virtuel » en Juin, par une vaste opération de webmarketing sur 3 jours afin de prendre « contact » avec ces futurs arrivants et proposer une alternative locale aux résidents qui auront renoncé aux voyages en métropole ou à l'étranger. L’autre clientèle potentielle concerne les touristes internationaux qui pourront accepter soit un système de quarantaine en début de séjour soit de fournir une garantie virale. Par conséquent, il semble fort recommandable de tester tous les arrivants internationaux durant cette phase et isoler immédiatement toutes les personnes contaminées (à leurs frais). Cette clientèle devra donc être une clientèle qui a le temps et les moyens de la quarantaine. On peut fort penser à un tourisme de type affinitaire comprenant des retraités et parents d’expatriés, impatients de revoir leurs enfants et petits-enfants.

 

PHASE 2 : Après l’arrivée d’un vaccin ou traitement (courant 2021)

 

À partir de ce moment-là, ce sera le signal pour les voyageurs non affectés par la crise économique qu’ils peuvent reprendre les déplacements internationaux mais uniquement si la destination garantit une sécurité sanitaire et virale. On peut s’attendre à ce que ces touristes souhaitent vivre des expériences « humaines » avec une vraie transmission et un réel partage culturel afin de rencontrer de « vraies personnes » comme le souligne Jean-Michel Perron. Par conséquent, il faudra communiquer auprès de ces touristes sur les éléments suivants : sécurité sanitaire ; authenticité de la population, absence de concentration touristique, etc. De ce point de vue-là, la Polynésie française a de nombreux atouts à mettre en avant.

Il faut donc anticiper une période qui pourra être très importante pour le tourisme en Polynésie et frapper fort en termes de campagne marketing : vers mai – octobre 2021. Il faudra envoyer le signal que nous sommes prêts à recevoir les touristes, qu’ils seront en sécurité, qu’on prendra soin d’eux (avec un renforcement des activités « zen ») ; qu’on est un petit coin de paradis avec des paysages et une population unique et authentique. Il faudra vendre la chaleur de l’accueil polynésien !

 

PHASE 3 : Anticiper les futures crises

 

La crise du COVID-19 nous invite à rester modeste, à reconnaitre que nous ne savons pas tout et que surtout le tourisme a besoin d’experts scientifiques. Il est possible que ce genre de crise puisse se répéter. D’autres virus pourraient apparaître et il est aussi à craindre que la crise climatique (moins instantanée et donc plus pernicieuse) s’amplifie et créé des dégâts économiques et humains tout aussi dramatiques, voire plus importants. Dans cette phase, il nous apparaît nécessaire d’associer la médecine et la science à l’évaluation des projets touristiques, afin de mieux identifier les risques et les opportunités de chaque projet. Par essence, le tourisme est transdisciplinaire ; et ne concerne pas que les sciences humaines. Le COVID-19 aura eu le mérite de nous le rappeler. Cette crise sera aussi une opportunité pour inventer et penser, par des actions virtuelles par exemple, de nouvelles formes de tourisme, toujours authentiques, ce qui représente un défi de créativité unique pour les jeunes générations !

 

 

 

Pr. Vincent Dropsy

Professeur des universités en sciences économiques

Université de la Polynésie française

 

Jean-Claude Oulé

Professeur agrégé en économie-gestion, diplômé d’expertise comptable

Université de la Polynésie française

 

Dr. Sylvain Petit

Maître de conférences en sciences économiques, Habilité à Diriger les Recherches

Université de la Polynésie française

 

Dr. Yann Rival

Maître de conférences en sciences de gestion et du management

Université de la Polynésie française