FOCUS | Une seconde vague à Hawaii et en Polynésie française : un risque que nous pouvons maîtriser

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Un modèle hawaiien adapté pour la Polynésie française prévoit seulement 3 à 4 nouvelles infections par mois suite à la réouverture de la destination aux touristes internationaux, ce qui semble surmontable étant donné le protocole sanitaire en place.

Vincent DROPSY, Professeur des universités en sciences économiques à l’Université de la Polynésie française*

Publié le 15/06/2020

Le coût économique de la crise sanitaire de la COVID-19 est très élevé à Hawaii et en Polynésie française, à cause de leur forte dépendance envers le tourisme international (18,6% du PIB pour le premier, 11,2% pour le second), qui a subi un arrêt brutal depuis le début du confinement lors de la seconde quinzaine de mars. Un économiste du gouvernement du 50ème État américain a estimé qu’un retour du tourisme à son niveau de 2019 pourrait prendre jusqu'à six ans, étant donné la baisse anticipée de 68% des arrivées cette année.[1] Une enquête auprès des chefs d’entreprise hawaiiens fait apparaître des craintes de perte de 29% du chiffre d’affaires global pour 2020[2]. Le patronat polynésien anticipe une perte du chiffre d’affaires de 100 à 145 milliards de Fcfp (soit 15% à 23% du PIB) en 2020[3].

Dans un précédent focus sur le tourisme dans ces deux économies insulaires[4], l’auteur concluait : « La clé d’une reprise économique vigoureuse se trouve donc dans le retour des touristes à Hawaii », et ajoutait dans un autre article[5] : « Il est donc nécessaire de relancer la destination touristique dès maintenant, en prenant les précautions nécessaires pour minimiser les risques d’épidémie, et en maximisant le niveau de confiance de la population locale et des touristes internationaux [en Polynésie française] ».

Le coronavirus a disparu du territoire polynésien, après deux mois de confinement (du 21 mars au 20 mai, dont un allégement progressif lors des quatre dernières semaines), une soixantaine d’infections, mais sans perte humaine. La réouverture du tourisme international est programmée à partir du 15 juillet (dans un premier temps pour l’Europe et les États-Unis), avec l’obligation pour tout voyageur d'effectuer un test dans les 72 heures avant son départ, de souscrire à une assurance de voyage international (pour chaque visiteur non-résident), de remplir une fiche de renseignement obligatoire sur le séjour (itinéraire, transports inter-îles, coordonnées des hébergements et dates de séjour), d’attester sur l’honneur son engagement visant au respect des gestes barrières et à un autodiagnostic des symptômes, porter le masque durant le séjour quand la distanciation sociale n’est pas garantie, et se soumettre à d’éventuels tests pendant le séjour.[6]  Enfin, un visiteur qui présenterait des symptômes serait isolé en quarantaine au sein de l’établissement concerné, en prenant toutes les mesures de précaution selon un protocole établi la Direction de la Santé. Cela sera-t-il suffisant pour éviter une nouvelle vague d’infections en Polynésie française ?

Un plan de prévention de nouvelles infections suite à la réouverture du tourisme à Hawaii

L’institut de recherche UHERO[7] a récemment publié un plan de prévention d’une seconde vague d’infections suite au futur redémarrage du tourisme international à Hawaii. [8] En effet, depuis le 26 mars, le gouverneur de l’État a décrété une obligation d’auto-quarantaine pendant 14 jours chez soi ou dans une chambre d’hôtel pour toute personne arrivant sur une des îles hawaiiennes.[9] Cette contrainte sera supprimée pour les voyages inter-îles à partir du 16 juin, et a priori le 31 juillet pour les arrivées continentales américaines ou internationales. Néanmoins, la température de chaque voyageur inter-ilien sera testée à son départ, car le coronavirus circule encore (728 cas et 17 décès recensés au 14 juin)[10].

Plus précisément, les auteurs de l’étude de l’institut UHERO propose de ne pas mettre en « quatorzaine » les arrivants qui passeraient les deux tests suivants dans les 72 heures avant leur départ et ne poseraient qu’un faible risque de transmission du coronavirus aux résidents des îles hawaiiennes pendant leur séjour : (1) un test de température et de dépistage des symptômes de la COVID-19, et (2) un test de dépistage virologique RT-PCR (prélèvement naso-pharyngé par écouvillonnage) pour identifier la présence du coronavirus.

Pourquoi tester avant le départ ?

Il est préférable d’effectuer ces tests avant le départ dans sa ville d’origine plutôt qu’à l’arrivée à Hawaii, afin de prévenir l’importation d’infections. Une personne qui serait détectée positive par l’un de ces tests ne pourrait pas embarquer sur un vol vers Hawaii, ce qui diminuerait les chances d’infection des personnels navigants et des autres passagers, ainsi que de la population hawaiienne. Si ces tests étaient effectués à Hawaii et se révélaient positifs pour certains passagers, cela nécessiterait leur isolation in situ, qui serait coûteuse et générerait un poids supplémentaire sur le système médical hawaiien.

Quand tester ?

D’un point de vue épidémiologique, il serait avantageux d’obtenir les résultats des deux tests dans un laps de temps le plus proche du départ, afin de minimiser la probabilité de contracter le coronavirus pendant la période entre les tests et le vol vers Hawaii. Cependant, pour des raisons logistiques et statistiques, un laps de 72 heures avant le départ semble raisonnable. 

Quelle est l’impact des tests sur la réduction des infections ?

Le dépistage des températures élevées et des symptômes de la COVID-19 réduit d’environ un tiers les passagers infectieux, selon de récentes études médicales, en tenant compte du caractère asymptomatique d’une proportion importante de personnes infectées. Mais l'ajout d'un second test RT-PCR de dépistage de l'infection par la COVID-19 diminue de 80 à 90 % les passagers infectieux des vols à destination d'Hawaï.

 

Combien d’infections nouvelles seraient provoquées par les passagers infectieux non dépistés ?

Les auteurs de l’étude font l’hypothèse que le nombre de touristes visitant Hawaii serait environ 20% des arrivées pendant la même période l’année précédente (pour un total de 10 millions en 2019). Ainsi, il est estimé que sur 6.000 arrivées quotidiennes (au lieu d’environ 30.000 en 2019), 0,42% des touristes américains (c’est-à-dire 25 par jour ou 750 par mois) pourraient être infectieux, selon les estimations d’Imperial College pour les États-Unis.[11] Le premier test de température et de dépistage des symptômes diminuerait le nombre de passagers infectés d’un tiers à 500 par mois. Étant donné un taux de reproduction égal à 0,96 au 12 juin[12], et la réduction des cas de 50% grâce aux gestes barrières, ce nombre augmenterait à 750 infections par mois à Hawaii (soit le nombre total de personnes infectées à ce jour), ce qui ne serait pas soutenable pour le système de santé hawaiien (qui comporte 190 lits équipés pour la COVID-19). Le deuxième test proposé, de dépistage virologique (RT-PCR), est plus sensible et plus spécifique pour détecter les cas d’infections actuelles qu’un test sérologique qui détecte les anticorps et donc les infections passées. En faisant l’hypothèse conservatrice d’une détection de 80% des infections, l’ajout de ce second test réduirait le nombre total de passagers infectés à 100 par mois, et le nombre d’infections supplémentaires de la population locale à 50, pour un total de 150 nouvelles infections par mois.

Extrapolation des résultats hawaiiens pour la Polynésie française

Alors que l’État hawaiien a reçu environ 10,3 millions de visiteurs (soit 7,3 touristes par habitant) en 2019, la Polynésie française n’a accueilli que 236 642 visiteurs (soit 0,8 touristes par habitant), soit 43 fois moins, pour diverses raisons explicables par un modèle gravitaire.[13] Une extrapolation suggère qu’en prenant les précautions proposées par les auteurs de l’étude hawaiienne (les deux tests de dépistage avant le départ), approximativement 3 ou 4 nouvelles infections par mois apparaitraient à Tahiti et ses îles. À titre de comparaison, il y a eu environ 40 nouvelles infections à Tahiti pendant le premier mois de confinement.[14] Or tout voyageur entrant en Polynésie française aura l’obligation d'effectuer un test dans les 72h avant son départ, et les deux compagnies aériennes dont les avions vont bientôt desservir l’aéroport de Tahiti-Faa’a prévoient de vérifier que la température de leurs passagers est inférieure à 37,5 degrés Celsius avant l’embarquement,[15] sans oublier la fiche de renseignements sur le séjour pour du traçage de contact, l’attestation d’engagement visant au respect des gestes barrières et à un autodiagnostic des symptômes, et d’éventuels tests pendant le séjour en cas d’apparition de symptômes (suivi d’une mise en quarantaine). Ces précautions semblent donc bien suffisantes pour éviter une nouvelle vague d’infections qui nécessiterait une nouvelle période de confinement, dont l’économie polynésienne aurait beaucoup du mal à s’en relever.

Conclusion

Les économies hawaiiennes et polynésienne ont été très durement touchées par la crise sanitaire du coronavirus, à cause de l’arrêt brutal du tourisme international. Maintenant que la COVID-19 est en voie de résorption à Hawaii et a complètent disparu à Tahiti et dans ses îles, il est urgent de faire rouvrir leurs aéroports aux voyageurs en prenant les précautions sanitaires qui s’imposent. En l’occurrence, l’étude présentée suggère que deux tests de dépistage (température/symptômes, RT/PCR) avant le vol de départ sont suffisants pour maîtriser les risques d’une importante seconde vague d’infections. Les autorités compétentes en Polynésie française ont récemment annoncé la réouverture du tourisme internationale, ainsi que des mesures de précaution sanitaire plus importantes que celles requises dans l’étude précitée. En particulier, le Haut-Commissaire et le Président de la Polynésie française ont déclaré qu’ « un dispositif de suivi des personnes fondé sur trois piliers « Tracer, dépister, isoler » sera mis en place afin d’accueillir les touristes dans les conditions de sécurité optimale et de protéger les professionnels du tourisme. En complément, l’ensemble du secteur du tourisme mettra en place un protocole de type « Clean and safe » qui permettra par le respect des gestes barrières et des mesures de distanciation sociale de limiter le risque d’apparition de chaine de transmission (cluster) »[16]. Ces mesures semblent favorables à restaurer la confiance des touristes, des professionnelles, et de la population, condition sine qua non pour sauver le tourisme et l’économie polynésienne d’une dépression durable.[17]

 

* Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur(s)’auteur(s) et ne correspondent pas nécessairement à celles de l’UPF ou du CETOP. 

 

 


[5] « Sauver le secteur touristique de la Polynésie française », V. Dropsy, J.C. Oulé, S. Petit, Y. Rival (Tahiti Pacifique, 29/05/2020).

[7] University of Hawaii Economic Research Organization (UHERO)

[10] https://health.hawaii.gov/coronavirusdisease2019/

[11] https://www.imperial.ac.uk/mrc-global-infectious-disease-analysis/covid-19/report-23-united-states/ 
https://www.imperial.ac.uk/media/imperial-college/medicine/mrc-gida/2020-05-21-COVID19-Report-23.pdf

[12] https://covidactnow.org/us/hi?s=48058

[13] Dropsy, V., Montet C.,, and Poirine B.. “Tourism, Insularity, and Remoteness: A Gravity-Based Approach.”, Tourism Economics, 2019.  doi:10.1177/1354816619855233.

[17] « Sauver le secteur touristique de la Polynésie française », V. Dropsy, J.C. Oulé, S. Petit, Y. Rival (Tahiti Pacifique, 29/05/2020).