FOCUS | Robotisation et automation : des solutions pratiques pour le tourisme en temps de crise sanitaire ?

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Les technologies robotiques et d’automation pourront-elles apporter des solutions pratiques au tourisme suite à la crise sanitaire mondiale de la Covid-19 ?

Publié le 15/06/2020

 

Les technologies robotiques et d’automation pourront-elles apporter des solutions pratiques au tourisme suite à la crise sanitaire mondiale de la Covid-19 ? C’est la question à laquelle Sylvain Petit, Maître de conférence HDR en sciences économiques à l’Université de la Polynésie française tente de répondre. Pour ce faire, il a fait appel à un spécialiste de l’économie robotique et du marketing de destination : Stanislav Ivanov, qui a accepté de répondre à ces quelques questions. 

 

Biographie

image 3Stanislav Ivanov est Professeur et Vice-Président de la Commission Recherche à l’Université de Management de Varna en Bulgarie. Il est également PDG du cabinet de consultation Zangador Ltd. Il est le fondateur et éditeur en chef de deux journaux académiques : European Journal of Tourism et ROBONOMICS : The Journal of the Automated Economy. En plus de ses fonctions, il est membre des bords éditoriaux de plus de 30 autres revues académiques.

Ses sujets de recherche de prédilection sont l’économie robotique, les robots dans l’hôtellerie/tourisme, l’économie de la technologie, le revenue management, le marketing de destination, la croissance économique et touristique, les problématiques politiques liées au tourisme, etc.

Ses publications sont apparues dans différentes revues scientifiques telles que : Annals of Tourism Research, Tourism Management, Tourism Management Perspectives, Tourism Economics, Technology in Society parmi d’autres.

En 2019, il co-édite avec Craig Webster « Robots, Artificial Intelligence and Service Automation in Travel, Tourism and Hospitality », publié par Emerald Publishing.

Pour en savoir plus : http://stanislavivanov.com 

 

Bonjour Stan, vous êtes spécialiste du tourisme et de la gestion de destination (notamment du yield management). Récemment, vous avez écrit certains articles et un livre sur les changements en cours dans le secteur du tourisme et de l’hôtellerie constatant notamment une augmentation de l’utilisation de la robotique et de l’intelligence artificielle ces prochaines années.

Quels sont les changements majeurs que vous avez pu observer et que vous prévoyez également conformément à vos travaux académiques en tourisme ?

 

Il y 10 ans de cela, l’utilisation de la robotique dans le tourisme et dans le secteur hôtelier n’était envisagée que par les ingénieurs. Aujourd’hui, les robots se popularisent et deviennent monnaie courante dans les hôtels, restaurants, aéroports, musées, etc. Un des plus grands changements que nous pourrons observer ces prochaines années c’est que les employés de l’hôtellerie auront des compagnons robotiques pour travailler avec eux. Cela ne veut pas dire que les robots vont remplacer les humains dans le secteur touristique. Toutefois ils peuvent leur permettre de devenir plus efficace et productifs en libérant les humains des tâches répétitives, sales et dangereuses. Cette prise en charge des travaux pénibles par les robots devrait permettre aux humains de se concentrer sur des activités plus stimulantes psychologiquement et générant davantage de revenus. Le nettoyage, la gestion des déchets, le jardinage, le room service, la délivrance d’informations, le port de bagages et d’autres tâches qu’il est possible d’automatiser pourraient être dévolues aux robots, tandis que les humains se focaliseront sur les tâches qui nécessitent plus d’intelligence émotionnelle et une interaction humaine. Bien sûr, ce changement n’interviendra pas à la même vitesse dans toutes les destinations et dans toutes les entreprises. Il ne sera pas accueilli par tous. Il n’est pas non plus nécessaire que toutes les entreprises du secteur touristique et hôtelier adoptent les robots. Dans la pratique, nous verrons se diviser deux types d’entreprises. Le premier type offrira des expériences « high tech » à bon prix, standardisées, largement automatisées et robotisées aux touristes. Tandis que le second groupe se concentrera davantage sur des expériences « high touch » avec des services humains de haut standard. Il y aura plus de cinquante nuances de gris entre ces deux groupes.

De plus, les touristes communiqueront davantage avec des «chatbots » qu’avec des humains lorsqu’ils seront à la recherche de renseignements, pour effectuer des réservations, finaliser des paiements, recevoir des documents ou s’ils veulent effectuer des réclamations. Les chatbots deviennent de plus en plus sophistiqués et de nombreuses tâches qui demandaient autrefois une intervention d’opérateurs humains dans des centres d’appels peuvent désormais être réalisées avec succès par les chatbots.

En outre, les avatars de robots pourraient entrer sur le marché du tourisme dans quelques années. Au lieu de voyager vers une destination, il sera possible de se connecter à un robot qui y serait localisé et de le piloter. Ceci pourrait créer des expériences totalement nouvelles pour les touristes.

 

Pensez-vous que la crise sanitaire de la Covid-19 va accélérer ce processus ?

 

Oui, la Covid-19 est un des meilleurs leviers d’accélération de l’automation et de la robotisation, de pair avec la crise démographique dans les économies développées. La Covid-19 va forcer les entreprises de différents secteurs, y compris le tourisme et l’hôtellerie à automatiser des processus pour diverses raisons. Tout d’abord, les robots peuvent être utilisés pour garantir la distanciation physique (les robots du room service par exemple). Deuxièmement, ils peuvent être utilisés pour apporter des informations aux touristes concernant les règles d’hygiènes et les gestes protecteurs à suivre. Troisièmement, les robots pourraient être utilisés pour nettoyer et désinfecter des surfaces, afin de protéger la santé des clients et des employés. Quatrièmement, la Covid-19 va faire monter les prix des coûts fixes des établissements hôteliers en termes d’assurances car ils devront disposer de garanties et polices supplémentaires. Ils devront aussi investir dans des équipements supplémentaires et embaucher plus de personnel pour être conformes aux normes sanitaires. Toutefois, ils auront également une capacité d’accueil réduite puisqu’ils doivent garantir la distanciation physique entre les clients. Cela résultera en des coûts très élevés supportés par le client. La hausse des prix est inévitable mais il y a une limite que le marché peut supporter. Ainsi, les hôtels et les autres compagnies touristiques et hôtelières seront forcées de se tourner vers les technologies de l’automation comme moyen de diminuer les coûts – non pas par choix, mais parce qu’ils n’auront aucune autre solution viable vers laquelle se tourner.

 

On peut imaginer les raisons pour lesquelles l’offre se tournerait vers la robotique, mais quelles sont les raisons qui permettent d’expliquer ce changement du côté de la demande ?

 

Il existe plusieurs types de clients. Certains clients (comme moi), sont obsédés par l’efficacité : un service rapide à un prix raisonnable. Pour eux, les robots et autres moyens d’automatisation apportent une valeur supplémentaire à leur expérience touristique. D’autres clients en revanche, seront indifférents face à l’utilisation de robots pour autant que leur expérience touristique n’en soit pas affectée. Enfin, un troisième type de clients sera réfractaire à l’utilisation de la technologie en général, et des robots en particulier. Toutefois, je pense personnellement que l’adoption des robots et des technologies de l’automatisation seront largement drainées par l’offre plutôt que par la demande. Cela signifie que les hôtels, les restaurants, les aéroports et les autres entreprises du secteur touristique introduiront ces technologies en quête d’efficacité, de productivité et de rentabilité ou bien pour combler des postes peu attractifs pour les employés humains.

 

Est-ce que vous pensez que les plus petites destinations seront capables de suivre le pas ? Ces changements ne vont-ils pas mener à des différences significatives de compétitivité ?

 

Cela dépend du positionnement de la destination. D’habitude les petites destinations ne s’appuient pas sur un tourisme de masse. Pour elles, l’utilisation de robots ne semble pas être une solution faisable. Les robots sont appropriés pour de plus grandes capacités ou surfaces avec un trafic touristique plus dense. Ils peuvent améliorer la compétitivité de grandes entreprises en rendant le service de livraison plus amusant et divertissant, ou bien en réduisant les coûts opérationnels et de la sorte, les prix.

 

La Polynésie française (Tahiti et ses îles), en plus d’être qualifiée de destination exotique promeut l’authenticité de l’accueil de son peuple. Selon votre opinion, est-il possible de concilier cette identité à la robotisation dans le secteur du tourisme ?

 

Les technologies, robots inclus, ne sont que des outils. Il n’y a aucun besoin absolu d’avoir recours aux robots juste parce que c’est à la mode ou parce qu’on vous a dit de le faire. L’adoption des robots requière une analyse stricte des coûts/bénéfices pluridirectionnelle. Cela inclus les coûts financiers et non financiers ainsi que les bénéfices.

Une des plus importantes directions de l’analyse des coûts financiers repose dans le positionnement de la compagnie ou de la destination quant aux robots. Si la compagnie / destination offre exclusivement des produits « high touch », alors il n’y a absolument aucune raison d’introduire des robots. En réalité, l’utilisation de robots viendrait ruiner l’image de la compagnie / destination. De plus, dans le cas particulier de la Polynésie française, les clients choisissent la destination pour sa nature, sa beauté, sa sérénité, son climat, son service et l’exclusivité de la destination. Ils payent un prix fort pour avoir accès à ces attributs. Utiliser des robots en Polynésie française n’aurait aucun sens d’un point de vue marketing parce que cela serait en contradiction avec le positionnement de la destination, ses arguments de vente uniques et les attributs de la destination que les clients recherchent. Il n’y a aucune raison financière non plus pour l’utilisation de robots à bas prix et cela ne fournirait pas un avantage comparatif aux complexes hôteliers en Polynésie française. Les robots pourraient être utilisés tout au plus pour le nettoyage et la désinfection des lieux mais jamais pour interagir avec les clients.

 

Faites-vous confiance aux robots ?

 

Oui bien sûr ! Mon slogan fétiche est d’ailleurs « In robots we trust ! » (Nous faisons confiance aux robots). Je leur fais confiance, car ils sont prévisibles, ils travaillent d’une manière prédéterminée, ils ne se plaignent pas, ils ne radotent pas, ils ne se soustraient pas au travail et ils font ce que l’on attend d’eux. Évidemment, ils s’usent et nécessitent de la maintenance mais les humains tombent malades et ont besoin de manger également. Les robots peuvent nous faciliter le quotidien si nous apprenons à les utiliser intelligemment.