FOCUS | Détermination du cadre normatif sanitaire de l'accueil des touristes : qui fait quoi en Polynésie française ?

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Depuis le 5 juin, une perspective de reprise du tourisme se dessine à Tahiti. Cependant qui fait quoi ? cette question n'a rien de théorique.

Détermination du cadre normatif sanitaire de l’accueil des touristes : qui fait quoi en Polynésie française ?

Par Grégoire CALLEY, Maître de conférences en droit public en délégation à l’Université de Polynésie française, Membre du GDI.

 

Publié le 08/06/2020

 

Les annonces réalisées conjointement par le Président de la Polynésie française et le Haut-Commissaire de la République le 5 juin dernier marquent assurément un temps fort de la crise sanitaire parce qu’elles laissent enfin entrevoir une perspective de reprise de l’activité touristique. L’évocation d’une réouverture progressive du trafic aérien vers la Polynésie française à compter du début du mois de juillet prochain est à bien des égards symbolique compte tenu du quasi-isolement du territoire. Mais derrière ce choix de réouverture des lignes aériennes, un autre arbitrage décisif pour la vie économique insulaire a également été effectué en matière sanitaire. L’annonce a en effet été faite d’une suppression progressive de toute quatorzaine à l’arrivée sur le sol polynésien à compter du 15 juillet prochain avec maintien toutefois de tests de dépistage obligatoires consécutivement à cette date. Compte tenu de l’effet dissuasif des quatorzaines sur les flux touristiques entrants, la programmation de leur suppression est tout simplement capitale pour la reprise de l’activité touristique et plus généralement pour la reprise économique insulaire. Salutaire et angoissant à la fois, un cap a en tout cas été fixé par les autorités administratives locales.

Les annonces faites vendredi dernier nous semblent justifier quelques remarques strictement juridiques sur l’exercice par les différentes autorités administratives de leur compétence pour prendre les décisions évoquées plus haut. La question de savoir « qui fait quoi » dans ce domaine n’a rien de théorique. Les ordonnances rendues par le TAPF les 15 et 16 mai dernier à propos des quarantaines à l’arrivée sur le sol polynésien ont d’ailleurs attiré l’attention des autorités administratives polynésiennes sur la nécessité de bien respecter leur champ de compétences[1]. Dans un contexte où le consensus est difficile à trouver, il est à craindre que les mesures annoncées vendredi suscitent quelques contentieux. Soit parce qu’elles seront perçues comme insuffisamment protectrices de la santé publique. Soit parce qu’elles continueront au contraire d’être perçues comme trop restrictives des libertés.

S’agissant du trafic aérien, la loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française offre à n’en pas douter de solides titres de compétences à l’État pour décider de sa fermeture comme de sa réouverture[2]. Le régime d’embarquement vers la Polynésie française est aujourd’hui prévu dans les articles 10 à 13 du décret 31 mai 2020[3]. À ce jour, ces dispositions continuent toujours à interdire entre la France continentale et la Polynésie française tout déplacement de personnes par transport public aérien qui ne reposerait pas sur « un motif impérieux d'ordre personnel ou familial, un motif de santé relevant de l'urgence ou un motif professionnel ne pouvant être différé ». Certes, l’article 10 habilite le haut-commissaire à « compléter la liste des motifs de nature à justifier les déplacements », « en fonction des circonstances locales ». Il n’est pas sûr cependant que cette disposition fournisse un ancrage suffisamment sûr pour autoriser légalement ce dernier à organiser au moyen d’une réglementation locale l’embarquement des touristes vers la Polynésie française. La modification par le Premier ministre du décret précité constitue sans doute une solution plus prudente pour sécuriser juridiquement l’embarquement des touristes vers la Polynésie française…

S’agissant des quatorzaines en Polynésie française, les ordonnances du TAPF des 15 et 16 mai dernier ont indiqué que leur déroulement devait se conformer aux exigences nationales prévues à cet égard par l’article 25 du décret précité du 31 mai 2020 (obligation notamment de laisser un droit d’option entre une quarantaine à domicile et une quarantaine sur site dédié). Surtout, le TAPF a considéré que la prescription individuelle de ces mesures relevait exclusivement du Haut-Commissaire et qu’en conséquence étaient illégales toutes les quarantaines imposées par les autorités de la Polynésie française. Le passage annoncé de la quatorzaine à la septaine ne change de ce point de vue pas la donne.

Reste la question du protocole sanitaire à mettre en place après la suppression de la septaine prévue le 15 juillet prochain. Ce protocole devrait a priori se concrétiser par la réalisation obligatoire de tests de dépistage 72 heures avant l’embarquement mais aussi - ce qui peut s’avérer plus contraignant pour les touristes - durant le séjour en Polynésie française. La logique voudrait que la Polynésie française qui dispose d’une compétence sanitaire en vertu de la loi organique exerce dans ce domaine un véritable pouvoir décisionnel et ne soit pas exclusivement réduite à mettre en œuvre ce qui aura été décidé par l’État, comme cela est le cas en matière de quarantaine. La ministre des Outre-mer a récemment évoqué la nécessité d’un décret pour sécuriser l’assujettissement de l’embarquement vers une destination d’outre-mer à un test de dépistage[4]. À ce jour, en Polynésie française, c’est dans un arrêté du conseil des ministres que cette exigence est prévue, ce qui ne va pas sans susciter quelques interrogations au regard de la compétence en matière de « police et sécurité concernant l'aviation civile » que l’article 14 de la loi organique réserve à l’État[5]. Un bon compromis au regard de la loi organique pourrait consister à confier à l’État la compétence pour décider des formalités à respecter avant embarquement et à laisser à la Polynésie française la compétence pour décider de l’application des protocoles sanitaires à respecter durant le séjour.

 

[1] V. les ordonnances TAPF, M et Mme L, 15 mai 2020, n° 2000310 et TAPF, Madame Sylviane G, 16 mai 2020, n° 2000321, disponibles en ligne sur le site Lexpol, http://lexpol.cloud.pf/LexpolAfficheTexte.php?texte=551706

[2] L’article 14 LO confie à l’Etat la compétence en matière de « police et sécurité concernant l'aviation civile ».

[3] Décret n° 2020-663 du 31 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, disponible en ligne sur le site Legifrance,

https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000041943263&dateTexte=20200608

[5] V. l’arrêté n° 525 CM du 13 mai 2020 portant mesures nécessaires à l’entrée en Polynésie française pour faire face à l’épidémie de covid-19, disponible en ligne sur le site Lexpol, http://lexpol.cloud.pf/LexpolAfficheTexte.php?texte=551572