FOCUS | Billets d'avion annulés : faut-il préférer des avoirs ou des remboursements ?

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La crise sanitaire a entraîné un nombre impressionnant d'annulations de voyages. Les compagnies aériennes ont ainsi émis des avoirs correspondant aux montants des billets non volés. Quid juris ?

FOCUS : Billets d’avion annulés : Faut-il préférer des avoirs ou des remboursements ?

 

Florent Venayre, Professeur des universités de sciences économiques à l’Université de la Polynésie française. *

                                                                                                                                       

 

Publié le 02/06/2020

 

L’arrêt généralisé des voyages aériens, consécutif à la crise sanitaire du covid-19, a entraîné un nombre impressionnant d’annulations de voyages. Face à cet immense défi, qui les a précipitées dans une détresse financière considérable, les compagnies aériennes ont été conduites à proposer à leurs clients l’émission d’avoirs correspondant aux montants des billets « non volés ». Pourtant, le règlement européen CE 261/2004 du 11 février 2004, qui définit les obligations des transporteurs aériens envers leurs passagers, impose le remboursement des billets annulés lorsque le passager en fait la demande.

En France, cette politique commerciale de rigueur des transporteurs a sans surprise déplu à certains, tant consommateurs que voyagistes. L’UFC Que Choisir a ainsi mis en demeure 57 transporteurs de procéder aux remboursements souhaités, publiant même une « liste des compagnies aériennes contrevenantes »[1] sur laquelle figurent tant Air France que Air Tahiti Nui ou French Bee. Du côté des agences de voyages, si elles peuvent émettre des avoirs, grâce à l’ordonnance n° 2020-315 du 25 mars 2020 adoptée à cet effet, elles restent en revanche tenues de rembourser les clients ayant acheté des vols secs et refusent donc que les compagnies aériennes puissent ne pas en faire de même, évoquant 500 millions d’euros de billets en cause[2].

Quoi qu’il en soit, douze États dont la France ont soutenu la démarche des transporteurs aériens. Leurs ministres des transports ont ainsi explicitement demandé à la Commission européenne, dans le contexte de la crise actuelle, de faire évoluer le règlement précité en autorisant les transporteurs à imposer à leurs clients des avoirs au lieu des remboursements usuels[3]. Consciente des difficultés, la Commission a adopté le 13 mai 2020 une recommandation [C(2020)3125] visant à promouvoir l’utilisation des avoirs en tentant d’en faire une « alternative viable et plus intéressante que le remboursement », notamment en préconisant une validité de 12 mois minimum, leur remboursement s’ils ne sont pas utilisés à la fin de la période de validité, leur transférabilité à un autre voyageur et une protection contre l’insolvabilité de l’émetteur. Mais la Commission n’a cependant pas souhaité déroger au principe fondamental du choix du consommateur : les avoirs ne peuvent donc pas leur être imposés.

 

Prenant acte de la position de la Commission, Air France a modifié sa politique commerciale en n’obligeant plus à accepter les avoirs mais en les favorisant. La compagnie a ainsi proposé une bonification de 15 % de la valeur du billet, cette bonification n’étant toutefois pas incluse dans le remboursement si l’avoir n’a finalement pas été utilisé[4]. Toutefois, cette modification ne prenant effet qu’à partir du 15 mai, et excluant donc les annulations précédentes, l’UFC Que Choisir a choisi d’assigner la compagnie, ainsi que 19 autres (mais pas Air Tahiti Nui ou French Bee comme cela avait été initialement envisagé) devant le tribunal judiciaire de Paris[5]. Certains voyagistes[6] ont pour leur part également intenté une autre procédure, devant l’Autorité de la concurrence métropolitaine, au motif d’une entente anticoncurrentielle supposée entre les compagnies aériennes ayant pour finalité le blocage du remboursement des billets. Certes, la question de l’équité du partage de la charge entre les opérateurs (transporteurs et voyagistes) peut se poser en cas d’avoirs émis par les compagnies aériennes, comme l’a d’ailleurs fait la Commission dans le §13 de la recommandation précitée. Mais l’ordonnance française qui autorise aux voyagistes des avoirs sur les séjours annulés tempère cela et, surtout, l’existence d’une entente illicite au regard du droit de la concurrence (art. L. 420-1 du code de commerce français) reste à démontrer.

 

En Polynésie française, le gouvernement a pour sa part, souhaité soutenir le secteur touristique en fournissant à l’ensemble des opérateurs, dont les transporteurs aériens, la possibilité de substituer des avoirs aux remboursements. La loi du pays n° 2020-12 du 21 avril 2020 fixe ainsi les conditions d’exécution des contrats (art. LP. 39 et s.) et la Direction générale des affaires économiques (DGAE) a produit une note didactique à l’attention des consommateurs.

Des dispositions similaires avaient été prévues en Nouvelle-Calédonie, mais l’Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie (ACNC) a, en urgence, formulé des critiques assez vives des mesures envisagées, avec pour effet la suspension de leur adoption. L’Autorité, craint des effets susceptibles de porter atteinte à la concurrence, en rendant impossible la mise en concurrence des compagnies ayant rendu leurs consommateurs « captifs » avec la pratique des avoirs imposés[7]. On notera cependant que l’Autorité s’éloigne dans son analyse de son champ premier de compétence, en abordant des aspects de la consommation ou d’effets macroéconomiques supposés du dispositif.

 

Or, à terme, le principal risque concurrentiel est bien celui de la disparition de certaines compagnies aériennes, qui pourrait priver des lignes des effets positifs d’une concurrence active. C’est d’ailleurs pourquoi la question des aides d’État aux transporteurs aériens, dans cette période, est si prégnante[8]. M. Michel Monvoisin, le PDG d’Air Tahiti Nui, rappelait début mai que ATN était à 5 % seulement de son programme habituel[9]. L’Association internationale du transport aérien (IATA) indiquait de son côté que les billets non utilisés représentaient 10 milliards de dollars pour la seule Europe, et 35 milliards au niveau mondial[10]. De ce point de vue, l’utilisation temporaire d’avoirs, pour des sociétés insulaires comme la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie, par nature très dépendantes des compagnies aériennes qui les desservent, pourrait bien apparaître comme un moindre mal, même si elle met à contribution les consommateurs de ces territoires.

 

* Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur(s) auteur(s) et ne correspondent pas nécessairement à celles de l’UPF ou du CETOP.

 

 

[3] http://www.air-journal.fr/2020-04-30-remboursements-12-pays-dont-la-france-implorent-leurope-5219877.html. D’autres États ont en revanche rapidement rappelé à l’ordre les compagnies, qui ont donc remboursé leurs ressortissants afin d’éviter toute procédure. C’est par exemple le cas des États-Unis ou d’Israël : http://www.air-journal.fr/2020-04-28-coronavirus-air-france-rembourse-les-americains-et-israeliens-mais-pas-les-francais-5219827.html

[6] Il s’agit de 20 % environ des adhérents du CEDIV, le Centre d’études des indépendants du voyage

(http://www.lechotouristique.com/article/vols-annules-non-rembourses-le-cediv-attaque-les-compagnies-contrevenantes).

[7] Voir pour plus de détails : Venayre F., « Annulation des billets d’avion : l’ACNC critique le remplacement des remboursements par des avoirs », Tahiti Pacifique n° 433, 29 mai 2020.

[8] Voir : Venayre F, « Quelles aides d’État pour sauver les compagnies aériennes ? », Focus, Veille documentaire Tourisme & Résilience, n° 4, Centre d’Études du Tourisme en Océanie-Pacifique, 11 mai 2020.