Parole d'expert : Le marketing inclusif en Polynésie française - l'impact d'Airbnb

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Quels liens existent entre la disparition du Tour Opérateur historique Thomas Cook, le développement des logements Airbnb et la sensibilisation des polynésiens au tourisme ? Nous vous invitons à le découvrir dans ce billet.

Le développement du marketing inclusif en Polynésie française :
l’impact d’Airbnb

 

 

Thomas Cook, opérateur historique de voyages touristiques organisés, créé en 1841, est déclaré en faillite le 23 septembre 2019, après presque 200 ans d’activité. Pour expliquer cette disparition, les managers de l’entreprise évoquent, entre autres raisons, la concurrence des sites Internet aux coûts plus faibles et Airbnb. Ce dernier a la particularité de n’offrir qu’un logement, sans restauration ni activités annexes, donc en dehors des offres packagées que proposait Thomas Cook. Cet événement, s’il ne perturbe pas l’activité touristique de la Polynésie française est la marque des bouleversements actuellement en cours dans la plupart des destinations touristiques. Il est également révélateur de ce à quoi nous pouvons nous attendre, en Polynésie française, en matière d’évolution de l’offre touristique avec le développement sur le territoire du meublé touristique proposé par Airbnb.

 

Actuellement, la destination Polynésie française est vendue, en très grande partie, sous forme de packages. Les voyages sont organisés de l’arrivée au départ du touriste et la plupart du temps, il est logé en hôtel de type Resort. Ceux-ci proposent suffisamment d’activités en leur sein pour limiter les sorties des touristes et lorsqu’ils sortent, c’est bien souvent dans le cadre d’activités organisées par ces mêmes hôtels ou leurs prestataires de visites, de randonnées, etc. Ils restent donc encadrés. Au contraire, les logements du type Airbnb ne propose qu’un lit, une chambre, un bungalow, souvent sans aucune activité annexe. Le touriste est donc libre d’aller et venir à sa guise toute la journée. C’est par ce biais que le tourisme inclusif va se développer en Polynésie française. Ce type de tourisme suppose une vraie rencontre et la création de liens entre touristes et populations locales, au-delà des rencontres utilitaires. La rencontre de l’autre est vécue comme une expérience. Ainsi, le touriste, sans occupation et parfois sans accès à la plage n’aura d’autres alternatives que de se promener et d’aller à la rencontre de la population locale. Actuellement, nous avons près de 230 000 touristes par an mais, occupés dans leurs hôtels, la population ne les voit pas. Les choses vont changer et ce changement est en route. Un comptage des meublés touristiques a été réalisé sur le site Airbnb en février dernier par le Centre d’Etudes du Tourisme en Océanie-Pacifique (CETOP). Il a révélé que les pensions de famille et les meublés touristiques (les offres d’Airbnb) proposent, en Polynésie française, autant de lits que tous les hôtels réunis ! Les hôtels peuvent loger près de 6000 personnes quand les pensions de famille peuvent en accueillir 2000 et les meublés touristiques 4000... Les assises du tourisme qui ont eu lieu le 26 septembre dernier ont d’ailleurs été l’occasion, pour des propriétaires de pensions de famille, de faire part au Ministère du Tourisme de leur difficulté face à la concurrence de plus en plus fort des loueurs de meublé touristique via Airbnb.

 

Cette envolée de l’offre des particuliers aux touristes répond à une demande observée partout dans le monde. Au niveau mondial, les touristes sont de plus en plus indépendants dans l’organisation de leurs voyages[1]. Les plateformes de réservation de type TripAdvisor leur permettent cette indépendance. Les touristes itinérants peuvent même organiser de moins en moins à l’avance leurs voyages et s’en remettre de plus en plus à ces mêmes plateformes de réservations pour se loger au dernier moment. A bord de leur voiture de location, ils cherchent à se loger là où ils sont arrivés dans la journée, sans avoir toujours planifié complétement ce trajet. A Tahiti, cette tendance se développe également. Maui Shan, propriétaire du Mahana Lodge Hostel & Backpacker, indiquait dans une conférence que certains touristes arrivés à l’aéroport le matin lui téléphonent le midi pour trouver une chambre. La tendance est en route et, comme c’est le cas dans le reste du monde, elle va se développer. Les polynésiens, à l’accueil reconnu dans le monde entier, sont-ils prêts à voir arriver en masse des touristes qui ne seraient plus contenus dans les hôtels ? Sont-ils prêts à rencontrer physiquement les touristes ? Sont-ils prêts pour le marketing inclusif ? Cette question est d’autant plus pertinente que, selon une étude réalisée en 2019 par TripAdvisor, pour les touristes français, désormais, « la culture devance la météo comme critère de choix ». Les touristes d’aujourd’hui veulent de plus en plus rencontrer la population locale.

 

Une étude menée, durant deux années consécutives (2018 et 2019), par les étudiants de la Licence 3 Economie-Gestion de l’UPF auprès de plus de 900 personnes, apporte quelques éléments de réponse. Des personnes de tous les archipels ont été interrogées. Deux éléments étaient mesurés : l’attitude des polynésiens vis-à-vis du tourisme et leur comportement bienveillant vis-à-vis des touristes.

 

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La première mesure, l’attitude vis-à-vis du tourisme, en nécessite deux : la perception des éléments favorablement associés au tourisme (courbe orange : diversité plus forte d’événements, plus d’investissements pour le territoire, marchés pour les produits locaux, etc.) et, a contrario, la perception des effets défavorables du tourisme (courbe grise : environnement naturel détérioré, gestion des déchets, etc.). L’attitude des polynésiens vis-à-vis du tourisme (courbe jaune) est la différence entre ces premières deux mesures. L’échelle varie entre -6 et +6. Les niveaux d’attitude mesurés au cours des deux années (courbe jaune) sont assez faibles (1,31 et +0,88) et la tendance est à la baisse... Les répondants perçoivent assez peu d’avantages au développement touristique.

La mesure du comportement bienveillant (courbe bleue) est réalisée en demandant aux personnes interrogées d’indiquer si elles sont plutôt méfiantes ou accueillantes ; arrogantes ou polies ; indifférentes ou serviables ; agressives ou sympathiques lorsqu’elles rencontrent des touristes. Cette échelle de mesure varie de 1 à 7. Le score moyen est très élevé pour les deux années (6,2 et 5,94) mais comme pour la première mesure, la tendance est, là aussi, à la baisse.

Au regard de ces deux premiers résultats, il semble légitime de se demander si l’accueil polynésien mondialement connu perdurera face à un contact plus fréquent de touristes plus présents, plus visibles et désireux de nous rencontrer. Ce n’est pas évident selon les résultats obtenus. La mesure doit cependant être renouvelée dans le temps pour être validée. Elle le sera mais dans un premier temps, elle montre que les efforts de sensibilisation de la population au tourisme doivent être poursuivis par Tahiti Tourisme, voire renforcés pour que notre territoire conserve son image paradisiaque. Notre accueil fait partie de notre culture et de l’image de notre territoire, il faut à tout prix le préserver ! Cela étant dit, pour que la rencontre soit bénéfique aux deux communautés, touristes et polynésiens, il est probable que les deux doivent être sensibilisées l’une à l’autre.

 

 

Pierre GHEWY,

Maître de Conférences en Sciences de Gestion à l’Université de la Polynésie française

Co-Directeur du Centre d’Etudes du Tourisme en Océanie-Pacifique

 

[1] D’après le cabinet Raffour Interactif, en 2013, 62 % des Français partis en vacances ont préparé leur séjour en ligne.